Par Richard Hay, étudiant du programme MScAgric (Agronomie) au Département des sciences des plantes et des sols (Université de Pretoria)
Twitter : @HaysHarvest, Instagram : @HaysHarvest
D'aussi loin que je me souvienne, il y a toujours eu des semences autour de moi. Des semences de toutes formes, tailles et couleurs. Des semences de céréales de base et de légumes à feuilles ; d'herbes délicates et d'arbres imposants. Des étagères pleines de semences rangées dans de petites enveloppes brunes et de grands bocaux en verre, tous méticuleusement étiquetés et identifiés au moyen d'une série de lettres et de chiffres inscrits au marqueur noir épais. Une bibliothèque de gènes en constante évolution créée par mon grand-père, qui était un extraordinaire sélectionneur de plantes.
Mon grand-père John McOnie, pendant ses premières années chez eSwatini, en train d'inspecter des lignes de sorgho.
Ce sont les semences qui m'ont dans un premier temps amené à m'intéresser à la manière dont les réseaux sociaux influencent la compréhension du système agroalimentaire par le public. Consulter la section des commentaires d'une publication ou d'un article sur les techniques modernes de sélection des semences est souvent une véritable source d'indignation et une expérience décourageante pour quiconque comprend la science. La perception qu'a le public de ce secteur est si largement truffée d'idées fausses et de désinformation qu'on a l'impression d'un désordre inintelligible sans début ni fin.
C'est le résultat d'un mélange complexe de mauvaise communication scientifique, de l'ingérence des intérêts corporatifs et politiques et des répercussions sociales et environnementales de pratiques non durables. Plus que jamais auparavant, les consommateurs sont déconnectés du système et des communautés qui les nourrissent, et s'appuient sur des sources secondaires pour obtenir des informations sur la façon dont leur nourriture est produite. D'une part, cela témoigne de l'efficacité du système alimentaire moderne, car de plus en plus de personnes n'ont pas à être directement impliquées dans la production primaire de leurs aliments. Nous leur avons permis de poursuivre des carrières dans d’autres domaines, mais nous n’en avons pas fait assez pour conserver leur confiance.
Je suis convaincu que les réseaux sociaux vont jouer un rôle essentiel pour montrer au public qu'en tant que scientifiques et agronomes, nous avons à cœur les meilleurs intérêts de la société et de l'environnement. Partout dans le monde, de plus en plus d'agriculteurs et de scientifiques utilisent les réseaux sociaux pour partager leur expérience quotidienne dans leurs champs, leurs vergers, leurs pâturages, leurs granges et leurs laboratoires. Cela donne aux consommateurs un aperçu de la complexité du secteur agricole, nous permettant ainsi d'analyser de façon nuancée la raison d'être de pratiques « controversées » telles que les pesticides, les engrais synthétiques et les cultures génétiquement modifiées. En particulier en Afrique du Sud, avec notre secteur agricole diversifié, j'aimerais voir plus d'agriculteurs et de spécialistes agricoles partager leurs témoignages en ligne et amener une touche personnelle au discours public autour du système alimentaire.
Les réseaux sociaux ont également le potentiel de changer la façon dont nous abordons la vulgarisation agricole. Mes travaux, menés en collaboration avec le professeur Michael van der Laan du Département des sciences des plantes et des sols de l'Université de Pretoria, s'intéressent aux différentes façons dont les petits agriculteurs utilisent les réseaux sociaux. Nous avons constaté que dans le monde entier, ces plateformes sont largement utilisées pour former des communautés en ligne permettant de discuter des pratiques agricoles, de partager des opportunités de marché et d'assurer la promotion des agro-industries. Ces plateformes ont prouvé leur efficacité pour permettre aux agriculteurs de s'organiser et de partager des informations, certains groupes comptant plus d'un demi-million de membres. Cependant, il arrive souvent que les informations agronomiques partagées sur ces plateformes ne soient pas tout à fait scientifiquement fondées. Nous nous sommes rendu compte que même s'il y a une soif de connaissances, il existe également un certain nombre d'obstacles qui empêchent les agriculteurs d'accéder à la richesse des informations disponibles sur Internet.
Avec la page Facebook Ingesta: Farming for the Future, notre objectif est de créer une plateforme centralisée de ressources d'apprentissage en ligne auxquelles les agriculteurs pourront accéder gratuitement depuis n'importe quel appareil, quelle que soit leur région. Actuellement, dans le cadre du programme MSc de Monica Oberholster sur l'enseignement des sciences, nos étudiants de deuxième année en sciences agricoles et en écologie créent de courtes vidéos visant à expliquer les principes agricoles de base aux petits agriculteurs. Ces vidéos sont chargées sur la plateforme Ingesta, ce qui donne aux travaux de nos étudiants un impact réel au-delà de la salle de classe. Notre plan pour cette année est d'élargir ce projet, en publiant des travaux d'étudiants et de chercheurs à tous les niveaux d'études. Notre objectif final est d'incorporer ces travaux dans des programmes d'apprentissage formels, disponibles gratuitement pour quiconque souhaite approfondir ses connaissance de la théorie agricole et aider nos services nationaux de vulgarisation, qui sont sous pression.
Enfin, les réseaux sociaux sont potentiellement l'un des moyens les plus efficaces d'attirer la prochaine génération de scientifiques agricoles. Un rapport publié en 2017 par l'Académie des sciences d'Afrique du Sud a conclu qu'actuellement « l'agriculture n'est pas une carrière de premier choix » et que nous manquons de scientifiques talentueux dans ce secteur. D'après ma propre expérience à l'Université de Pretoria, la plupart des étudiants ne sont tout simplement par au courant de la diversité des possibilités d'emploi dans le secteur agricole, et c'est encore une fois dû à la déconnexion du grand public avec le système alimentaire. Faire en sorte que davantage d'agronomes, d'horticulteurs, de généticiens, de phytopathologistes, de pédologues, d'ingénieurs agricoles, de spécialistes des mauvaises herbes et de biophysiciens spécialisés dans les cultures agricoles présentent leurs travaux dans la sphère en ligne est un moyen fantastique de montrer aux étudiants ce que chaque discipline implique, sans qu'aucun d'entre nous n'ait à quitter le champ ou le laboratoire.
Quelles que soient nos opinions personnelles sur la manière dont l'ère numérique a façonné la culture moderne, il faut reconnaître que les réseaux sociaux font et vont continuer de faire partie intégrante de la façon dont nous interagissons avec le monde. Ils permettent de nouer de nouvelles relations, de renforcer d'anciens partenariats et de mettre en avant notre passion et notre fierté de travailler dans le secteur agricole. Les réseaux sociaux sont une vague sur laquelle il faut surfer, et non pas un courant contre lequel il faut lutter.